jeudi 16 mai 2013

Les bacs à traille du Bugey


Le Rhône, axe majeur de civilisation



Utilisée depuis l'âge de pierre ( une pirogue monoxyle découverte près de Cordon est exposée au musée Escale Haut Rhône), la voie rhodanienne joua un rôle déterminant dès l'époque gallo-romaine, constituant l'axe principal du transport de marchandises. Les embarcations en chêne et sapin de 30 à 40 m. de long et pouvaient supporter jusqu'à 150 tonnes et permettre, par exemple, d'acheminer des blocs de calcaire.

Au Moyen-âge, le Rhône était préféré aux chemins. Plus sûr, moins coûteux, mais aussi plus rapide à la descente jusqu'à Lyon, il permettait des charges 200 fois plus lourdes (pierres, bois d'oeuvre, sel de Camargue) que sur char.


Traverser le Rhône

Sous l'Ancien-Régime, les péages ponctuaient le fleuve. Chaque seigneur encaissait le sien. Les taxations et les confiscations arbitraires étaient fréquentes.

Pour traverser le fleuve, les hommes utilisaient des bacs.
Si de l'Antiquité au Haut Moyen-âge le bac était à traille pendulaire, c'est-à-dire relié à un câble soutenu par des flotteurs, fixé dans le fleuve et orienté de manière à profiter du courant pour atteindre l'autre rive, au XVe s. le bac à traille traversière prédomine.

Au XVe s., on comptait environ un port traversier tous les 5 km, entre Seyssel et la mer.

Certains bacs étaient permanents : à Anglefort, à Culoz, au mollard de Vion pour rejoindre Chanaz.

Les autres étaient à traille.

Définition d'un bac à traille
"Un bac à traille se compose d’une plate, bateau rectangulaire (14 x 4 x 0,70 m pour les plus grands) aux flancs légèrement courbés.



Bac à traille de Groslée
Les extrémités identiques sont équipées d’un trapon : plancher amovible pour embarquer et débarquer piétons, vélos, voitures avec attelage, faucheuses mécaniques, puis automobiles et tracteurs.
La plate est reliée par un premier câble (le traillon) à un second, de plus gros diamètre tendu entre deux poteaux au dessus du fleuve.
À l’aide d’une double poulie, (le dragon), le traillon glisse sur la traille. Il suffit de gouverner la plate en oblique par rapport au sens du courant qui lui sert de force motrice."
(Définition : dossier de presse de l'exposition de l'année 20009 "Naviguer au câble. Histoire et mémoire des traversées en bac à traille du Haut Rhône" au musée Escale Haut Rhône)


Bac à traille de Thil près de Miribel - Archives départementales de l'Ain

Le câble, la traille, était à l'origine une corde de chanvre (grelin), puis une torsade de fils de fer détendue par un treuil.
Le câble était maintenu par deux anneaux ou par des mâts, pieux en bois, (bac de Port Lagnieu), devenus des piles à charpente de bois (chèvres).
Plus rarement, les piles étaient maçonnées, avec escalier.

De l'autre côté de la rive, le passeur tirait sur la corde ou utilisait soit une grande rame (l'empeinte) qui servait de gouvernail, soit une perche à pointe et crochet (l'arpi).

Les passagers empruntaient des escaliers, en pierre ou en bois, ou encore un ponton flottant.
Pour les bacs voituriers, étaient installés une rampe maçonnée et un embarcadère mobile (le trappadou).
La propulsion mécanique ne fut rendue possible qu'à partir du XIXe s. grâce à l'invention de la chaudière tubulaire en 1827 par Marc Seguin.

Différents types de bacs pouvaient être proposés au passager :
- le simple batelet piétonnier,
- le passe-cheval, accessible aux animaux mais sans voiturier
- le bac voiturier pour les charrettes.

Le bac à traille se généralise à partir du XVIe s.

On trouvait des bacs à traille entre Rives et Lucey ainsi que sous Pierre-Châtel dès 1605, entre La Balme et Saint-Blaise, là où le Rhône faisait près de 80 m. de largeur, mais également à Groslée et Rix (Lhuis).

Henri Cogoluenhe -Histoire des bacs pour traverser le Rhône

Jusqu'à la fin du XVIIe s., M. Du Port de la Balme percevait les péages sous Pierre-Châtel. Au début du XVIIIe s., la famille (devenue Duport de Seyssel) installe en amont de ce bac à traille, un bac privé pour desservir sa vigne, son cellier et son parc rive droite.

À Seyssel, pendant la période de destruction du pont de bois (entre 1765 et 1768) une traille est installée.


Henri Cogoluenhe -Histoire des bacs pour traverser le Rhône
En 1808, le préfet Giuseppe Bossi, dans son inventaire du département indique que les trailles de Cordon et de Port Groslée (Saint Sorlin) sont les plus fréquentées entre Pierre-Châtel et Miribel.

La gratuité sera accordée aux passagers par les départements, après le vote de la loi du 10 août 1871 qui déléguait à ces derniers la possession des bacs existants sur le Rhône (soit une cinquantaine).

Une autre loi (du 25 août 1792) autorise tout citoyen à créer et exploiter une traversée d'eau.

La fin des bacs

À partir de 1880, le déclin de la navigation sur le Haut Rhône s'accélère alors que se  développe le chemin de fer. Sont aussi à prendre en compte l'aggravation des conditions de navigabilité (rapides de Yenne et de Sault-Brénaz, engravement du chenal de Seyssel à Chanaz etc).

À partir du XIXe s., les bacs, ne répondant plus aux usages modernes, sont progressivement supplantés par les ponts, notamment suspendus.

En 1940, 24 bacs fonctionnaient encore sur le Rhône.

Les derniers bacs à traille sur le Rhône datent du 2e quart du XXe s. Cette remise en service était due à la destruction des ponts durant la seconde guerre. C'est le cas à La Loi entre Ruffieux et Culoz, à Groslée, Saint Sorlin, Port Lagnieu.

Certaines trailles sont même créées à Rix et Proulieu (Lagnieu).

Plus aucun exemple de ce type d'embarcation sur le Haut Rhône n'existait jusqu'à la découverte en 2004 d'un bac à traille enfoui dans la berge d'une lône à Saint-Benoît, par Emile Fiard, ancien agriculteur et constructeur de barques au Bouchage et son étude par André Julliard.
Cette découverte est entièrement détaillée dans l'ouvrage passionnant qu'il a dirigé : "Haut Rhône, l'empreinte ancestrale d'un fleuve". 

Elle a également fait l'objet d'une exposition au Musée Escale Haut Rhône de Brégnier-Cordon :
"En janvier 2009, un fragment de la mémoire des traversées du Rhône en bac à traille refaisait surface. Bien à l’abri sous deux mètres de limons, la plate Bourgey (du nom de son propriétaire) à été extraite, étudiée puis exposée sur le Port de Groslée. Parallèlement, le musée Escale Haut-Rhône inaugurait en juillet l’exposition Naviguer (e)au câble qui met en scène l’histoire de cette technique de traversée largement répandue avant la généralisation des ponts.
Dans la continuité de leurs recherches sur le bac à traille, André Julliard (ethnologue au CNRS) et Pierre-Anthelme Julliard (étudiant en Sciences Politiques) ont réalisé une reconstitution en 3D de la traversée de la plate Bourgey, en collaboration avec le cabinet d’infographie CBJ Créations de Belley.
Cette reconstitution intégrera la muséographie permanente du musée Escale Haut-Rhône au sein d’un espace consacré au bac à traille."



Bac à traille. Vidéo de CBJ créations de Belley : 


Je vous conseille fortement ce musée pour mieux connaître l'histoire de la navigation sur le Rhône. Les expositions sont riches et abordent aussi bien la vie des hommes qui vivaient par et pour le fleuve, que la faune, la flore, le transport des marchandises et la navigation au sens large au fil des siècles.
Ne vous privez pas d'une visite guidée, elles sont de grande qualité.

Musée Escale Haut-Rhône : www.escalehautrhone.fr


Entre autres sources
Gués, bacs, bacs à traille et pont de bateaux du Rhône. Dossiers électroniques de l'inventaire général du patrimoine culturel de 

Rhône-Alpes.
Haut Rhône. L'empreinte ancestrale d’un fleuve. Traverser, commercer, travailler d’une berge à l’autre sous la direction d’André Julliard.2012
Cogoluenhe Henri. Histoire des bacs pour traverser le Rhône. Recherches historiques et sociologiques. Thèse de doctorat, Institut de Recherche et d'Enseignement Philosophiques, Département Sociologie. Lyon : Facultés catholiques de Lyon, 1980.Colonel G. Aubert. La contrebande en Bugey au XVIIIe s. Le Bugey n 58, 1971.
Aubert Jean. Historique de la navigation sur le Haut-Rhône français. In: Les Études rhodaniennes. Vol. 15 n°1-3, 1939. pp. 181190
Le franchissement des fleuves en France au XVIIIe s. : www.art-et-histoire.fr
Culture fleuve Rhône : un intérêt local, interrégional et européen. CESER Rhône-Alpes. 25 septembre 2012. 

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