dimanche 29 septembre 2013

La contrebande du sel dans le Bugey au XVIIIe siècle (2/2)

Suite de l'article sur le trafic du sel dans le Bugey

D'importantes différences de prix existaient entre les provinces. 
Entre 1781 et 1785 dans le Valromey,  le minot (ancienne mesure correspondant à 1/2 mine ou 1/4 de setier) se vendait entre 53 et 55 livres, contre 19 en Savoie,  15 en Franche-Comté pays de salines, 5 dans le Pays de Gex,  franc de gabelle depuis 1776.
Le litron se négociait à 18 sols,  pratiquement l'équivalent d'une journée de travail d'un ouvrier agricole. 

Ces différences de prix et de consommation favorisèrent le développement du faux-saunage, malgré les peines encourues à savoir jusqu'à 6 ans de galère pour un homme à pied et sans arme et 9 ans, le marquage au fer rouge voire la peine de mort pour des hommes en armes et en bandes. 
Entre 1703 et 1708,  les faux-sauniers représentaient un quart de l'effectif des galères. 
Source : www.sentier-des-gabelous.fr

Comment s'organisait ce trafic ?

Le sel était volé ou détourné des salines.  Pour reconnaître plus facilement le "vrai" du "faux" sel, les autorités firent fabriquer celui-ci d'une façon différente selon les régions où il était commercialisé. 

Le sel était substitué dans la saline, sous forme de poussière de sel (le pousset), de pains entiers ou parfois il s'agissait simplement de la saumure (la solution aqueuse du sel) qui était ensuite transformée dans des ateliers clandestins. 
Pour se constituer un stock important,  on attaquait également les marchands, les dépôts et les magasins de sel. 

Le transport du sel de contrebande se faisait de plusieurs manières : jusqu'à 80 litres à dos d'homme (le porte à col), dans des pièces de bois creusées des charrettes,  des tonneaux à fond plat, en cachant le sel dans de faux pains ou dans du beurre et en utilisant les femmes et les enfants et même les chiens.  

Terres de contrebande
Le Dauphiné,  province rattachée tardivement au royaume de France, revendiquait le fait de conserver ses lois et ses particularismes.  
La contrebande s'organisa derrière les frontières de la Savoie,  terre du royaume de Piémont-Sardaigne.
Le sel était introduit dans le Valromey depuis le Pays de Gex,  la Franche-Comté et surtout depuis la Savoie qui comprenait deux dépôts sur la rive gauche du Rhône,  à Regonfle (en face du hameau du Parc, au nord de Seyssel).

En face, rive droite, se dressaient les entrepôts de stockage de la Ferme Générale.
Rive gauche,  les enclaves concédées au royaume de France par l'article 3 du Traité de Lyon de 1601, n'avaient pas de fortifications.  Elle facilitaient le franchissement du Rhône par les contrebandiers depuis la Savoie, formant des têtes de pont de l'autre côté du fleuve,  comme à La Balme, en face de Pierre-Châtel, d'autant plus que les gardes, chargés de vérifier les passeports au débouché de chaque pont ou bac, n'étaient pas nombreux et se laissaient parfois soudoyer pour quelques livres. 
(La tête de pont de Pierre-Châtel englobait La Balme et comportait un "bas-fort" dans ce village).
Le régime des enclaves dura jusqu'au traité de Turin du 23 mars 1760. 

Pour fournir les marchands de Trévoux et de la principauté des Dombes,  les contrebandiers passaient par le Bugey.
Pour se rendre dans le Valromey depuis Seyssel,  les faux-sauniers passaient avec leurs mulets par Eilloux, Etranginas, le vallon de la Combe, le Golet au loup, la Combe Merlin, le Col de la Biche,  Sothonod, Lochieu, Romagnieu,  Virieu-le-Petit. 
Sur place, le sel destiné à la population locale, est caché dans des dépôts clandestins,  granges ou cavités creusées dans la roche qu'utiliseront encore au XIXe siècle les contrebandiers de tabac. 

En Dauphiné et en Savoie, la contrebande prend la forme de grandes bandes organisées,  dont les chefs comme le célèbre Louis Mandrin,  sont assez riches pour entraîner,  armer et payer jusqu'à 800 hommes. 
Durant l'année 1754,  Mandrin ne mènera pas moins de 6 campagnes de contrebande. 


La lutte contre la contrebande

La Ferme dispose de gapians, mobiles ou basés aux frontières,  pour lutter contre les contrebandiers. Ces soldats se partagent le produit des amandes et les marchandises confisquées avec les fermiers généraux. 
En 1754,  à Champagne-en-Valromey, l'armée fut employée dans la lutte contre les contrebandiers.  
2 compagnies furent établies à Cordon.  Elles pouvaient en cas de besoin, se retirer 
au château de La Barre. 
Pour lutter contre Mandrin,  dans les régions frontières,  fut déployé un important dispositif militaire chargé de traquer le contrebandier. 
Un corps d'élite fut spécialement mis en place et dirigé par le lieutenant-colonel Jean-Chrétien Fischer,  dont le camp était basé en Bourgogne.
Le 17 décembre 1754,  lors d'une bataille au hameau de Gueunand, Fisher réussit à le blesser et le mettre en fuite.
Ceux que l'on surnommait les mandrins se réfugièrent en Savoie et en Suisse.  90 gapians et soldats du roi passèrent alors illégalement la frontière et enlevèrent Mandrin dans son château de Rochefort en Novalaise, le 10 mai 1755, pour le conduire à Valence.




Sur place, on se hâta de le faire condamner avant que le roi de Piémont-Sardaigne,  Charles III, n'exige son extradition. 
Louis Mandrin mourut supplicié sur la roue avant d'être étranglé par son bourreau, place des clercs, le 26 mai 1755.

La mort du "capitaine général des contrebandiers" porta un coup sévère à la contrebande armée.  Par la suite,  les arrestations et les exécutions se multiplièrent.  Jean Bélissard, avec qui Louis Mandrin avait commencé sa carrière,  périra l'année suivante. 


Bibliographie

Bernard Briais :"les contrebandiers du sel : la  vie des faux-sauniers au temps de la gabelle"
Marie-Hélène Dieudonné :"Mandrin"
Louis Percevaux : "histoire du Valromey"
Colonel G. Robert :"la contrebande en Bugey au XVIIIe siècle", in Le Bugey numéro 5, année 1971.Louis Trénard : "le Bas-Bugey, la terre et les hommes"
Autres références

Site recommandé : le repaire Mandrin à Saint Genix sur Guiers

2 commentaires:

  1. Excellent article. Le sel a toujours ete une denree precieuse depuis le debut de la civilisation humaine. On ne traffic et ne contrebande que ce qui est precieux.

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